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Interview   

Le réveil de Savatage


Peut-être y a-t-il certains à qui le nom de Savatage ne parle pas beaucoup. Ils seront (presque) excusés : le groupe a été en quasi-sommeil pendant plus de vingt ans. Mais ceux qui sont tombés dans le bain de cette musique à la fois heavy, puissante, émotionnelle, légèrement prog, parfois orchestrale, racontant souvent des histoires profondes voire théâtrales n’ont pas oublié et ont longuement espéré un retour. Il y a bien eu ce concert au Wacken en 2015, mais le décès du producteur-compositeur-parolier Paul O’Neill en 2017 (nous en parlions avec Al Pitrelli en 2020) a donné un nouveau coup de massue au groupe. Mais Savatage est fort – ils parlent même de « pact » – et en 2023, le retour était annoncé, avec même un futur album à la clé.

C’est ainsi que les Américains ont foulé la scène du Hellfest en juin dernier avec une prestation exemplaire, bien que trop courte – set de festival obligé – et malgré un horaire ensoleillé peu propice à l’immersion. C’est quelques heures avant le show que nous nous sommes longuement entretenus avec le guitariste Chris Caffery et le bassiste Johnny Lee Middleton. Ils nous parlent évidemment de ce retour, mais ils reviennent également sur les marques de fabrique de Savatage et certains épisodes de son histoire, jusqu’à provoquer l’émotion…

« Le groupe est passé par pas mal de tragédies et de choses qui auraient signé la fin de la plupart des groupes, mais il semblerait que nous trouvions toujours le moyen de nous remettre sur pied. […] Nous avons fait un pacte, du genre : ‘Si un jour il m’arrive quelque chose : continuez.’ C’était tout le truc derrière ce groupe. »

Radio Metal : En vingt-deux ans, Savatage n’avait fait qu’un concert, en 2015 au Wacken, mais vous êtes désormais de retour pour de bon. Qu’est-ce qui a été le déclencheur de cette reformation ?

Chris Caffery (guitare) : En fait, nous ne nous sommes jamais séparés, donc c’est drôle : c’est plus ou moins une reformation dans le sens où nous nous remettons à faire des concerts, mais pendant tout ce temps, nous étions toujours ensemble. Quand nous avons fait le Wacken, nous avons commencé à parler de jouer, mais dix années sont passées en clin d’œil, nous avons perdu Paul [O’Neill], il y a eu le Covid-19, Jon [Oliva] a eu des problèmes personnels, etc. Nous avons simplement réalisé que le temps était précieux et que c’était maintenant le bon moment. Notre management est venu à nous en disant : « Les gars, il y a plein de festivals où j’aimerais vous voir jouer. Qu’en pensez-vous ? » Nous avons dit : « Allons-y ! » et nous voilà !

Johnny Lee Middleton (basse) : Le groupe est passé par pas mal de tragédies et de choses qui auraient signé la fin de la plupart des groupes, mais il semblerait que nous trouvions toujours le moyen de nous remettre sur pied, parce que la musique que Jon, Paul et le reste des gars ont créée est intemporelle. La musique est à l’épreuve du temps. Comme le disait Chris, vingt-trois ans, c’est long ! Nous avons une toute nouvelle communauté de fans de jeunes auditeurs. Je pose la question à ces gosses : « Où avez-vous découvert notre musique ?! Via votre grand-père ? » C’est sympa de voir qu’il y a encore des gens qui aiment cette musique. Il y a plein de nouveaux visages – plein de vieux visages aussi, qui amènent leurs enfants. C’est un peu comme le Trans-Siberian Orchestra : c’est multigénérationnel. Il y a des gens qui ont la soixantaine, comme moi – j’ai soixante-deux ans –, et même plus, et il y a des gamins de vingt-deux ans.

Chris : Quand les rééditions vinyles ont été faites, Jon a fait une interview où il parlait de faire un album, tout le monde a commencé à s’exciter et j’ai reçu des tonnes d’e-mails et de messages, comme le management et le reste des gars. La demande était tellement énorme. Nos rééditions vinyles ont même atteint les classements en Allemagne et ailleurs ! [Rires] C’était genre : « Ok, les gens veulent cette musique. » Comme Johnny l’a dit, nous voyions tous les nouveaux fans. Je parlais aux gens, et un gars d’un magazine français m’a demandé : « Tu réalises que vous êtes plus gros aujourd’hui que jamais ? » Et j’étais là : « Non, car nous n’étions pas actifs, mais je suppose que nous allons découvrir dans quelques heures l’impact de cette musique ! » [Rires] Je suis excité de voir les fans de metal ici quand je serai sur scène, car c’est un festival tellement cool et ça fait longtemps.

N’aviez-vous pas peur que les gens aient un peu oublié le groupe ou d’être confrontés à une toute nouvelle génération qui n’avait jamais entendu parler de Savatage ?

Johnny : Non, car nous recevions sans arrêt des demandes pour que le groupe joue. Et puis, tu regardes simplement sur YouTube et tu vois le nombre de fois que les gens écoutent ta musique.

Chris : Nous avons joué en avril et avons fait des festivals en Amérique du Sud. Mon Instagram a eu deux millions de vues ce mois-là. C’était fou ! Je n’avais jamais rien vu de tel. C’est comme si le monde entier prêtait attention aux gens disant : « Savatage rejoue ! » Il y a une force là-dedans.

Dans quel territoire êtes-vous les plus populaires ?

Les pingouins en Alaska [rires].

Johnny : Je ne sais même pas ! En Europe, en général. Enfin, l’Allemagne est vraiment un gros marché pour nous. L’Amérique du Sud est un groupe marché. Le Brésil est un très gros marché.

Chris : Il y a des pays comme l’Egypte : des gens me disent qu’il y avait un groupe de reprises de Savatage qui a joué près des pyramides devant quarante mille personnes. Il y a donc plein d’endroits qui ont des tas de fans. Nous ne savons donc pas vraiment. Partout où nous allons, nous rencontrons des légions, donc savoir où il y en a le plus, je ne sais vraiment pas. Je ne peux pas répondre.

En vingt ans, le monde a beaucoup changé et évolué. Tout va très vite aujourd’hui, surtout avec l’importance des réseaux sociaux qui n’existaient pas il y a vingt ans. Comment faites-vous face à ce « nouveau monde » ?

Johnny : C’est à double tranchant. Il y a des bénéfices et des inconvénients aux réseaux sociaux. Aujourd’hui, nous allons remonter dans le bus et nous pourrons écouter le concert sur YouTube.

Chris : Il y est même probablement déjà ! [Rires]

« Il y avait des groupes qui avaient du piano dans leurs chansons, mais je crois que Savatage était le premier dans le heavy metal à en avoir comme faisant partie de son identité. Jon Oliva faisait un peu ce que Freddie Mercury faisait avec Queen. »

Johnny : Nous utilisons ça comme un outil. Nous utilisons les analyses de données Spotify pour voir ce qui est populaire dans la ville où nous jouons, et nous faisons un peu nos setlists en fonction de ça. Les réseaux sociaux ont été super pour l’industrie musicale, car tant de gens peuvent te voir. Rien qu’avec YouTube, tu peux avoir quelqu’un qui te regarde au Japon.

Chris : Ça n’a pas été génial pour les ventes d’albums…

Johnny : Oui, ça a tué les ventes d’albums. Avant on vendrait des albums, maintenant ce sont des t-shirts ! On prend le bon avec le mauvais.

Chris : Nous avons la chance de pouvoir être là aujourd’hui à faire ce concert.

Johnny : Et les réseaux sociaux ont en grande partie permis ça.

Le dernier album sorti était « Poets And Madmen » en 2001. Ensuite, vous avez fait appel à Damond Jiniya pour la tournée pendant deux ans. Plusieurs guitaristes ont même fait des allers-retours pendant cette période. Pourquoi le groupe s’est finalement mis en pause deux ans plus tard ?

Chris : Il se passait des choses. C’est dur de tout lister d’un coup, mais le temps est passé en un éclair. De 2003 on est arrivé en 2015 où nous avons dit que nous allions faire le Wacken. Cette période de temps est allée tellement vite ! Avec le Trans-Siberian Orchestra, nous sommes passés de dates simples à plusieurs concerts par jour, les plannings étaient assez tendus, puis les membres du groupe faisaient d’autres choses à côté, etc. Paul était là : « Il faut qu’on parle au sujet d’un album de Savatage. » Nous nous réunissions aux répétitions pour TSO et nous parlions de faire un album de Savatage. Puis l’année a défilé en un clin d’œil. Le temps est la ressource la plus précieuse. Quand tu vois à quelle vitesse vingt-trois ans passent, tu ne veux plus en perdre. C’est assez dingue, parce que nous n’avons jamais voulu arrêter. Paul est parti, puis nous nous sommes dit : « Il faut continuer… » Quand tu perds quelqu’un comme Paul qui a été si important dans notre vie, quand tu repenses à Criss Oliva… Même quand nous avons fait le Wacken, nous avions Vitalij Kuprij qui jouait du clavier et nous l’avons aussi perdu. Quand tu vois des gens qui te sont proches et qu’en un clin d’œil, ils sont partis, tu te dis que c’est le moment de rejouer ensemble et de célébrer la musique qui a été créée par ces gens, car nous, nous sommes encore là et nous avons l’occasion de le faire, alors il faut en profiter. Bref, c’est juste le temps !

Zak Stevens avait quitté le groupe en 2000, il est désormais de retour…

Johnny : Zak faisait Circle To Circle, donc il avait son propre truc et nous, nous avions le nôtre. Il se trouve juste que maintenant ça fonctionne : il fait désormais aussi partie de Trans-Siberian Orchestra et Circle II Circle n’est plus actif, donc c’était l’occasion. Nous avons remis les morceaux en place avec les gens que nous avions. En gros, tu travailles avec l’équipe que tu as à ta disposition et là, c’est, grosso modo, le groupe de Dead Winter Dead. Si tu regardes les photos de Dead Winter Dead, Jon n’apparaît pas dessus, même s’il a écrit les musiques. La boucle est bouclée. Nous avons reçu des offres pour faire ces concerts et c’est le moment de le faire, car nous prenons tous de l’âge ! Il faut le faire tant que nous le pouvons.

En parlant de Jon, c’est justement le seul membre qui n’est pas présent sur les concerts pour raisons de santé. Comment avez-vous géré son absence lors de la préparation de la tournée ?

En gros, le set que vous allez entendre ce soir est le sien. Il était avec nous au studio tous les jours quand nous travaillions sur les chansons, les tempos, etc. Nous voulions que les chansons soient présentées du mieux possible. Quand nous faisions venir Jon et qu’il jouait de ses claviers, typiquement, il y avait une partie de cordes et une partie de clavier, et lui choisissait la partie la plus dominante car il ne peut pas en jouer les deux en même temps. Du coup, pour ces concerts, nous avons décidé de faire intervenir deux musiciens pour pouvoir avoir le clavier et le piano ainsi que des voix supplémentaires pour aider avec les harmonies en contrepoint et tout. Jon a choisi ces musiciens et la setlist, et ce que vous allez entendre ce soir est sa vision de ce que nous devions faire. Quand il sera remis sur pied, il sera avec nous, mais avec tous les voyages, notamment internationaux, que nous devons faire, il ne peut physiquement pas. Nous avons roulé pendant dix-neuf heures dans le bus pour venir, nous allons encore y passer dix-sept heures pour repartir, nous avons un vol de douze heures… Tout ça est très difficile à endurer quand on a des problèmes de dos. Il a de graves problèmes de dos qu’il est en train de faire soigner actuellement, et tant qu’il ne pourra pas être physiquement avec nous, nous continuerons à aller de l’avant avec ce groupe. Nous recommencerons l’année prochaine et s’il peut partir, il viendra avec nous.

Est-ce qu’il va quand même mieux ?

Oui. Il a perdu beaucoup de poids. Il a échangé sa chaise roulante pour une canne, donc sa mobilité est en train de revenir, mais il n’en est pas encore au point où il peut supporter ce type de voyage stressant. C’est dur !

Chris : Oui, nous ne voulons pas qu’il se blesse davantage. Quand il sera prêt, il sera avec nous.

« Ronnie Radke est quelqu’un avec qui il serait amusant de travailler, parce qu’il est tellement puissant. Je l’appelle Crazy Ronnie, mais il est tellement talentueux, tellement différent. Il s’élève seul au-dessus de tout le monde, c’est assez impressionnant. »

Quelle a été la relation entre les membres du groupe pendant toutes ces années ? Je suppose que le fait d’avoir le Trans-Siberian Orchestra a contribué à maintenir une connexion et une alchimie…

Johnny : Je déteste ces gars ! [Rires]

Chris : Oui, durant toutes ces années, nous travaillions ensemble dans TSO. Quand nous avons fait la tournée Beethoven’s Last Night et les quelques-unes que nous avons faites en Europe, ce groupe s’est réuni, donc c’était moi, Johnny, Jeff [Plate] et Al [Pitrelli]. Et comme je l’ai dit, tous les ans, nous nous retrouvions et parlions de relancer Savatage.

Johnny : Lors des répétitions pour Trans-Siberian Orchestra, nous sommes tous ensemble et nous allons tous traîner au bar, comme dans le bon vieux temps. Mais eux partent faire leur tournée et Al et moi restons ensemble pour la nôtre. Chris, Jeff et Zak sont dans le groupe de la côte Est et moi et Al sommes dans le groupe de la côte Ouest. Nous faisons les mêmes shows mais dans des bâtiments différents. Mais nous traînons tout le temps ensemble, et maintenant, nous faisons ça !

Savatage possède une énorme discographie, avec de nombreux classiques. Si l’on regarde votre setlist récente, vous allez même jusqu’à jouer de vieux morceaux comme « Power Of The Night » ou « Sirens ». Dans quelle mesure est-ce un casse-tête de composer une setlist pour ce groupe ?

Oui, nous avons effectivement beaucoup de chansons ! Nous essayons de représenter tout Savatage du début à la fin. Ceci est notre première tournée, et nous avons beaucoup de matière, donc l’année prochaine il y aura plein de chansons différentes. Nous avons plein de morceaux parmi lesquels choisir. Mais comme je l’ai dit, c’est Jon qui a choisi ces chansons, c’est ce qu’il voulait que nous jouions. Je ne dirais pas que c’est notre patron, mais c’est un peu le leader du groupe et ce qu’il choisit est ce que nous jouerons.

Chris : Je crois aussi qu’il y a certaines des chansons qu’il chante… Comme « Hall Of The Mountain King » : je sais qu’il veut que les gens l’entendent la chanter pour la première fois [rires]. Ça fait un moment qu’il ne l’a pas chantée ! Quand je mentionne « Beyond The Doors Of The Dark », il est là : « Je vais la chanter ! » Il a envie d’être là pour faire ces morceaux. Mais oui, nous avons beaucoup de chansons. Personnellement, je ferais un set de huit heures, donc ce serait difficile…

Quels ont été les défis à relever pour réapprendre et répéter ces chansons que vous n’avez pas jouées depuis plus de vingt ans ?

Une chanson comme « Strange Wings », je ne crois pas que nous l’ayons jouée depuis la tournée de Gutter Ballet. Ça fait longtemps ! Et tu la vois se développer en coulisse et dans le monde de Spotify : je crois qu’elle est dans le top cinq des chansons les plus écoutées de Savatage. Alors tu la joues et tu regardes la quantité de gens qui connaissent cette chanson que nous n’avons jamais vraiment jouée, en tout cas pas avec le line-up actuel du groupe, y compris quand Jon était là. Ça fait toujours plaisir de monter sur scène avec une guitare et de jouer « Hall Of The Mountain King » ; c’est l’une des émotions les plus fortes que tu peux ressentir, envoyer un riff comme celui-là qui est un tel classique et si puissant devant les fans qui sont tellement contents de l’entendre en live. Mais le défi pour moi, c’est surtout les morceaux que j’ai écrits. Par exemple, quand nous nous sommes mis sur « Morning Sun », pour le solo, j’étais là : « Bordel, qu’est-ce que j’ai joué ? » La chanson est en Ré et j’ai joué sur la guitare avec l’ancien accordage, comme sur l’album, pour essayer de me souvenir comment je la jouais. C’était donc plus difficile d’apprendre mes propres morceaux que les autres musiques plus anciennes, car ces dernières sont tellement ancrées en moi. Mes morceaux, je les jouais en studio rapidement sans forcément les programmer dans ma tête – c’était plus comme peindre un tableau à cette époque.

Johnny : L’un des défis était que lorsque nous avons enregistré ces chansons, certaines étaient en accordage traditionnel, d’autres étaient en accordage d’un demi-ton plus bas, d’autres c’était un ton complet, etc. Pour éviter que nous changions de guitare à chaque chanson, j’ai appris à tout jouer sur un seul accordage, ce qui revient à réapprendre la chanson avec une autre manière de la jouer. Cela dit, ça fait quarante-cinq ans que je joue de la basse, si je ne suis pas capable d’y arriver, je ferai mieux de la poser et de faire autre chose. Idem pour le reste des gars.

Chris : Il y a des trucs qui étaient joués en accord ouvert où tu ne peux pas vraiment faire autrement, donc j’ai plusieurs guitares. Il y a certains classiques qui doivent être joués comme à l’origine, car tu n’as pas trop le choix ; à moins de monter sur le manche, c’est difficile de le répliquer et je n’aime pas les traitements numériques pour changer la hauteur, je trouve que ça change trop le son.

« L’élément le plus puissant de la musique de Savatage est le fait que sa longévité lui permet d’attacher les fans et de faire partie de leur cœur et de leur âme, comme le ferait une chanson telle que ‘Let It Be’, ‘Imagine’, etc. »

Une des marques de fabrique du groupe, c’est ses passages vocaux en canon, comme dans « Chance », « One Child » ou « The Hourglass ». Comment travaillez-vous pour les retranscrire sur scène ?

Johnny : En gros, nous faisons la même chose qu’avec Trans-Siberian Orchestra où nous avons neuf ou dix chanteurs. Nous employons donc la même méthode qu’avec eux et l’appliquons à Savatage. Nous distribuons les parties au sein du groupe et nous répétons encore et encore. Tous les soirs, avant de monter sur scène, nous nous posons dans les loges et nous parcourons les harmonies de chaque morceau sur lequel nous chantons, de façon à ce que ça reste frais dans nôtre tête. Avec les retours intra-auriculaires, tu peux vraiment entendre ce que tout le monde est en train de chanter. Il y a vingt-trois ce n’était pas tellement le cas. Il y avait toujours des retours bruyants…

Chris : Et nous sommes maintenant six à chanter.

Johnny : Oui, tout le monde chante dans le groupe à l’exception de Jeff.

Chris : Donc quand tu fais ces contrepoints, s’il y a cinq parties qui se répètent avec des harmonies, Zak commencera une partie et quand il entame la partie suivante, il y a ceux qui font les harmonies et quelqu’un va le suivre pour avoir l’harmonie sur cette partie, donc il se peut que tu abandonnes une partie au fur et à mesure, mais à la fin toutes les parties ont été chantées avec leurs harmonies et tu conclus avec le meilleur assemblage de voix car, souvent, ça se termine sur les mêmes mots. C’est vraiment amusant à monter, car chacun a ses points forts en termes de tessiture et de notes à chanter, et ensuite Zak porte le tout. En ayant maintenant une voix supplémentaire en tournant avec deux claviéristes, nous avons les moyens d’encore mieux construire ces passages.

En vous remettant sur ces chansons après tout ce temps, les avez-vous entendues avec une oreille nouvelle ou sous un angle différent ?

Tout le temps que j’ai passé à recevoir l’enseignement de Criss et toutes les années que j’ai passées à apprendre son jeu de guitare, en vieillissant, je suis devenu un meilleur guitariste. Donc je me suis mis à rejouer cette musique, je me suis senti différent. J’étais plus mature et je pouvais vraiment m’approprier ce qu’il faisait. Quand je jouais certaines parties, je me donnais moi-même des frissons. Tout ce temps qui est passé et qui m’a fait mûrir, combiné à l’attention que je lui ai portée pour apprendre et faire partie de cette musique, ça prend vie aujourd’hui dans mon jeu. Lui était sur une autre planète et avec le temps, j’ai acquis mon propre style, mais j’ai pu vraiment comprendre son jeu, si bien que c’est vraiment amusant pour moi de jouer ces morceaux en live.

Savatage a un style qui lui est vraiment propre – on entend tout de suite que c’est ce groupe. Qu’y a-t-il de si unique dans la manière dont les frères Oliva composaient et dont Paul produisait le groupe ?

Johnny : Ils avaient des chansons uniques. Quand j’ai rejoint le groupe pour l’album Fight For The Rock en 1985, nous n’avions pas de claviers. C’était juste basse, batterie, guitares et chanteur, c’est tout. Le père de Jon était pianiste, c’était son job. Donc quand nous avons eu notre premier clavier… En fait, nous en avons amené un pour avoir un son d’hélicoptère sur « Of Rage And War ». Nous ne l’avions même pas amené pour vraiment jouer dessus, mais Jon a commencé à jouer du piano et a pris quelques leçons auprès de son père. Quand ceci a été introduit dans le groupe, ça a un peu tout changé. Tout d’un coup, nous avions un tout nouvel instrument à rajouter. C’est là que nous nous sommes retrouvés avec « Gutter Ballet » et « When The Crowds Are Gone ».

Chris : Ces deux chansons sont arrivées tard dans l’enregistrement de l’album. Quand j’allais voir les gars au studio Record Plant – car ils étaient à New York City et je vivais dans le New Jersey –, j’étais dans la salle de répétition et Jon était là : « Ecoute ça ! » Il jouait « When The Crowds Are Gone » et ils commençaient à travailler dessus avec Paul. C’était une sortie d’illumination qui s’est poursuivie. Paul a eu cette vision de faire une pièce de théâtre rock et de donner vie aux histoires avec le groupe.

Johnny : Oui, c’était l’influence de la musique classique.

Chris : Je pense que c’était aussi cette habilité que Paul avait pour orchestrer et amener une vraie profondeur dans les textes, notamment pour les power ballades. Ça a vraiment fait exploser Savatage. Comme l’a dit Johnny, ça s’est développé un peu naturellement avec cette relation entre Paul et les frères Oliva. Ça s’est fait sans effort et ensuite, ça n’a eu de cesse de grandir. Ce message puissant que Paul avait dans ses textes liait le tout avec la puissance de la musique.

« Tel que le monde est aujourd’hui, je pense que la musique d’un groupe comme Savatage est nécessaire pour rassembler les gens, car Paul O’Neill était tellement intelligent et instruit sur les bons et mauvais côtés de la vie que lorsqu’il écrivait ces chansons, il faisait ressortir l’humanité au milieu du mal qui règne dans le monde. »

Justement, le style narratif et orchestral que vous avez développé avec Paul était très en avance sur son temps. Aujourd’hui, c’est presque devenu un standard. Considérez-vous ça comme une victoire posthume ?

Johnny : C’est sympa d’influencer des gens et leur direction musicale, mais Paul a lui-même influencé notre direction. Il nous a fait découvrir « Dans l’antre du roi de la montagne », l’extrait de Peer Gynt, que nous avons repris (« Prelude To Madness », NDLR). Aucun de nous n’avait jamais écouté de musique classique avant ça. Nous ne savions même pas que c’était un opéra. Il était là : « Jouez ça, on va le reprendre. » Il nous a donc introduits à ce monde plus orchestral. Mais il faut comprendre que quand nous faisions ça, le sampling venait tout juste d’apparaitre. Aujourd’hui, tous les claviers ont des sons de cordes, alors qu’en 1985, c’était rare. Nous travaillions donc à New York avec Bob Kinkel et il n’utilisait que des samples de cordes qui étaient de la technologie toute neuve. Nous avons donc adopté cette nouvelle technologie qui nous a permis d’inclure des cordes, des violons, dans des chansons. C’était une manière primitive de le faire, c’était dur, car on utilise de vrais samples. Nous faisions donc notre truc pendant que ces appareils et équipements étaient en train d’évoluer. Nous étions parmi les premiers à utiliser ces choses. C’est pourquoi on entend peu de groupes avant 1985 faisant beaucoup de trucs avec des cordes et ce genre d’éléments, car la technologie pour le faire n’existait pas.

Chris : Il y avait des groupes qui avaient du piano dans leurs chansons, mais je crois que Savatage était le premier dans le heavy metal à en avoir comme faisant partie de son identité. Jon Oliva faisait un peu ce que Freddie Mercury faisait avec Queen. Eux étaient un groupe de hard rock, et là je crois que c’était la première fois qu’on entendait ça dans un groupe de heavy metal. Il y avait des petites parties de cordes et autres dans Blizzard Of Ozz et ce genre de d’album, mais là, c’était l’un des membres du groupe qui chantait et jouait. Quand nous avons fait les clips de « When The Crowds Are Gone » et « Gutter Ballet », Paul a intégré l’orchestre dans la vidéo avec nous. Tout d’un coup, il y avait ce mariage entre le rock et le classique. C’est ce qu’il avait fait sur Hall Of The Mountain King, en mixant la bataille entre la guitare de Criss et les cordes – il disait qu’il avait toujours cette vision. Ces musiciens classiques étaient tellement puissants, c’était du heavy metal, c’était les rock stars de leur époque. Alors tu maries ces deux mondes au sein du heavy metal, qui est la musique la plus puissance sur la planète – ça l’a toujours été –, et ça fonctionne.

Quels groupes considérez-vous comme vos héritiers musicaux ?

Johnny : Je ne sais pas. Pour être honnête avec toi, je n’écoute pas beaucoup de musique heavy. J’aurais plutôt tendance à sortir un disque de Steely Dan. J’aime jouer du metal, mais je n’écoute pas beaucoup ce qui sort aujourd’hui. Parmi les nouveaux groupes – enfin, ce n’est pas vraiment nouveau, mais j’ai découvert récemment –, je citerais Ghost : j’adore leur production et les chansons sont très bonnes. Je ne dirais pas pour autant que c’est notre héritier musical… Je ne pourrais pas te citer un groupe que nous avons influencé.

Chris : Vous allez pouvoir voir Crazy Ronnie [Ronnie Radke] demain soir et lui a amené tout ça à un tout autre niveau. Je le trouve génial. Il amène beaucoup de puissance. C’est quelqu’un avec qui il serait amusant de travailler, parce que, justement, il est tellement puissant. Je l’appelle Crazy Ronnie, mais il est tellement talentueux, tellement différent. Il s’élève seul au-dessus de tout le monde, c’est assez impressionnant.

Cette année marque le trentième anniversaire de Dead Winter Dead. C’était le début d’une nouvelle ère, il a rencontré un certain succès, mais c’est aussi là que vous avez commencé à sortir des albums conceptuels très théâtraux et épiques, avec des canons vocaux, etc. Il y avait eu Streets: A Rock Opera par le passé, mais celui-ci allait beaucoup plus loin. Comment cette transformation s’est-elle opérée ?

Johnny : Nous nous sommes mis dessus et nous avons fait ce que nous faisions normalement : nous avons commencé à composer des morceaux, un processus d’écriture d’album tout à fait normal. Paul a toujours voulu incorporer une histoire dans la musique. Le conflit bosniaque faisait rage à l’époque. Quand tu lis les paroles, il y a toute une histoire là-dessus dans l’album. Le 24 décembre, il y a un gars [Vedran Smailović] qui a joué du violoncelle sur la grand-place pendant que la ville était bombardée. J’ai rencontré ce gars. Tout ce conflit était l’inspiration pour faire cet album. Ecoutez les paroles et suivez-les, il y a toute une histoire.

Chris : Paul a grandi à New York City, donc non seulement il a vu en vrai nombre des personnages qui apparaissent dans Streets: A Rock Opera, mais il a aussi grandi autour de la scène de Broadway. Il a joué de la guitare dans Hair et Jesus Christ Superstar. Il a commencé à être impliqué dans certaines agences là-bas qui composaient de la musique. Il a donc eu ce concept d’écrire une pièce de théâtre rock, et Streets: A Rock Opera était le premier album qu’il a fait comme ça. Ensuite, il a fait un album intitulé Romanov, qui est véritablement le premier album de TSO – il a été écrit mais n’est jamais sorti. Puis nous avons fait Dead Winter Dead et c’est là que ça a pris forme. Jon et Bob Kinkel écrivaient avec Paul, et ils rassemblaient les pièces du puzzle. Paul voulait vraiment la puissance d’une histoire dans la musique, en ayant des textes capables de changer la vie des gens. Je pense que c’est ça l’élément le plus puissant de la musique de Savatage, le fait qu’elle ait cette longévité lui permettant d’attacher les fans et de faire partie de leur cœur et de leur âme, comme le ferait une chanson telle que « Let It Be », « Imagine », etc. Les Beatles touchaient notre cœur et notre âme, et c’est ce que Paul arrivait à faire avec des morceaux tels que « Believe » avec Savatage. Ce sont des chansons vraiment fortes.

« Nous devons respecter un standard assez élevé. Nous voulons nous assurer que lorsque nous sortirons quelque chose, ce sera parfait. Nous avons attendu tellement longtemps, donc nous pouvons prendre un peu de temps pour faire les choses comme il faut. »

Trouvez-vous que les histoires musicales racontées dans Streets: A Rock Opera ou Dead Winter Dead résonnent encore dans le monde d’aujourd’hui ?

Johnny : Oh oui, absolument. J’aime d’ailleurs la version de Streets avec la narration entre les morceaux (sorti en 2013, NDLR). C’est ainsi qu’il était censé sortir à l’origine. Ce qui est drôle, c’est le début, où ça dit : « Hey man, you got a quarter? » Tous les jours, quand nous marchions pour aller au studio, il y avait deux clochards et c’est là que Jon a eu ça. Ça fait partie de la vraie vie ! Il y avait ces gars qui disaient tous les jours : « Eh, allez, aidez un mec, vous avez une pièce ? Il me manque cinquante centimes ! » En gros, Jon est devenu ce gars, dans son personnage, sur cet album. C’est tiré d’une expérience de la vie réelle quand nous enregistrions à New York City. A l’époque, New York City était sacrément effrayante. Nous étions à Hell’s Kitchen, un quartier qui porte bien son nom. J’y ai vu un gars se faire trancher la gorge… J’y ai été témoin de toutes sortes de trucs dingues.

Chris : J’ai été pour la première fois agressé sous la menace d’un couteau quand j’avais treize ans. J’étais à New York City, près Madison Square Garden, en journée, je regardais des posters d’Ace Frehley sur le mur et un gars est venu me voir : « Kiss ? Tu veux des tickets ? » J’étais avec mon frère de quinze ans et il nous a sorti un couteau : « Vous avez de l’argent ? » C’était à deux ou trois heures de l’après-midi ! C’était très différent à l’époque. C’était une ville où on rencontrait beaucoup de personnages de ce type. Tel que le monde est aujourd’hui, je pense que la musique d’un groupe comme Savatage est nécessaire pour rassembler les gens, car Paul était tellement intelligent et instruit sur les bons et mauvais côtés de la vie que lorsqu’il écrivait ces chansons, comme « Not What You See » dans Dead Winter Dead, il faisait ressortir l’humanité au milieu du mal qui règne dans le monde, montrant que les gens peuvent s’élever au-dessus de ça. Au fond, dans Savatage, nous ne prenons parti pour rien, nous ne sommes que des êtres humains et nous jouons de la musique pour d’autres êtres humains. Je pense que c’est là, la puissance de la musique de Savatage.

Savatage non seulement s’est reformé, mais prévoit également de sortir un nouvel album, intitulé provisoirement Curtain Call. Que pouvez-vous nous en dire ?

Johnny : Nous sommes en train de faire des chansons. Nous en avons beaucoup sous forme de démo. Nous allons sortir un autre album, mais un groupe sort son album quand il n’a plus le temps ou d’argent, sauf que nous, nous n’avons aucune limite de temps et nous avons notre propre studio, donc l’argent n’est pas un problème. C’est juste une question de nous réunir et de le faire. Pour l’instant, nous sommes concentrés sur le fait de faire tourner le groupe, de voir ce qu’il peut faire et comment ça réagit. Nous vendons beaucoup de merch, c’est un bon indicateur. Tout le monde chante en chœur – nous regardons les vidéos sur YouTube et les gens chantent plus fort que le groupe ! L’année prochaine, nous allons tourner encore plus. Pendant ce temps-là, Jon continue de composer des chansons.

Chris : Nous devons respecter un standard assez élevé aussi. Nous parlons tous ensemble en interne et nous parlons au management, à la famille O’Neill, etc. Nous voulons nous assurer que lorsque nous sortirons quelque chose, ce sera parfait. Nous avons attendu tellement longtemps. Ça nous a pris dix ans pour faire un autre concert après Wacken, donc nous pouvons prendre un peu de temps pour faire les choses comme il faut. Comme Johnny l’a dit, nous savons que les gens sont excités de revoir le groupe et il y a une tonne de fans qui n’ont jamais eu l’occasion de nous voir avant. Il y a même des fans qui étaient fans à l’époque et nous ont loupés, mais il y a aussi des gens qui n’étaient même pas nés ! Nous avons donc encore beaucoup de musique à leur jouer avant de sortir de nouveaux morceaux, et quand ce sera le cas, il faudra que ce soit les bons, au bon moment. J’ai hâte d’avoir un nouvel album de Savatage qui tourne sur… j’ai une platine vinyle, je trouve ça amusant de voir le disque tourner ! Bref, ce sera fun d’en avoir un nouveau.

Vous avez constamment évolué au fil des années, donc c’est difficile pour les fans de prédire quelle direction vous allez prendre. Le savez-vous vous-mêmes ?

Johnny : Oui, c’est un peu un mélange de tout ! Du tout début jusqu’à là où nous en sommes aujourd’hui. Il y a des chansons avec des orchestrations, d’autres qui sont super heavy, d’autres qui sont jouées au piano… Jon fait d’ailleurs une chanson seul au piano. C’est donc un mélange de tous les styles et types de musique que Savatage a faits par le passé condensés dans un même package.

Ce sera le premier album sans Paul O’Neill (à l’exception des trois premiers). N’avez-vous pas peur de faire un album sans lui ?

Chris : Oui, c’est ce que je sous-entendais. Nous devons vraiment essayer d’être à la hauteur de l’émotion. Quand j’ai fait mes trucs solos, les trucs solos de Jon… Nous avons tous travaillé ensemble et nous avons appris de ça. Et nous avons eu le meilleur professeur sur Terre avec nous, donc tu canalises tout ça et tu le mets dans la musique. Tu prends l’amour qu’il avait pour nous, tout comme celle de sa famille ou de toutes les personnes impliquées, et tu canalises ça dans l’amour que tu as pour les fans, et tu fais le meilleur album de Savatage possible. C’est tout ce que nous pouvons faire.

« Ils se sont mis à faire Handful Of Rain, je suis allé au studio et la première chose que je vois, ce sont les guitares de Criss Oliva. C’était six mois après son décès. J’ai dit : ‘Où est Criss ?’ Puis j’étais là [fait une pause] : ‘Il faut que je parte.’ Je n’étais pas prêt. »

Jon a dit que ce serait « probablement le dernier album que [vous] fer[ez] »…

Nah… [Rires]

Johnny : On verra ! Le problème est que nous avons environ cinquante satanées chansons ! Nous en avons assez pour au moins trois albums !

Chris : C’est bien qu’il ait dit ça, car à partir du moment où il l’a dit, tout le moment a commencé à en parler. J’ai commencé à recevoir des e-mails et messages : « Savatage est en train de faire un album ! » « Ah bon ? » Et tout d’un coup, les festivals se sont mis à nous contacter, puis nous avons sorti les vinyles et Savatage n’arrêtait pas de circuler dans le monde d’internet. Je plaisante un peu avec Jon, je lui dis : « Tu parles de Curtain Call, mais est-ce que le rideau tombe ou bien il se lève ? » C’est comme Dio quand il dit : « We’re the last in, we’re the first in line », le premier dans la file et le dernier dans la file, c’est la même chose [rires]. On ne sait donc pas dans quelle direction va le rideau !

Jon a traversé des années difficiles, à la fois pour sa santé et avec la perte de nombreux proches. Pensez-vous que ça affecte son état d’esprit et son écriture pour le nouvel album ?

Johnny : Je pense, oui, parce que typiquement, quand tu composes, tu le fais à partir de tes expériences. Il a vécu un sacré paquet de tragédies, mec. Beaucoup étaient de bons amis – il vient d’en perdre un autre il y a deux semaines. Il a pris pas mal de coups moralement, mais il se relève toujours. Tout ce groupe a traversé beaucoup de choses avec la mort, les problèmes de drogue, tout ce que tu veux, tout ce qui tuerait un groupe normal, or nous avons survécu. Nous avons fait un pacte. Lorsque j’ai intégré ce groupe, c’était genre : « Si un jour il m’arrive quelque chose : continuez. » C’était tout le truc derrière ce groupe. Si je meurs demain, ces mecs ont intérêt à continuer ! C’est un peu dans cet état d’esprit que j’ai sauté dans le bain, et le bain n’a pas changé ; c’est resté comme ça. Nous avons vécu des tragédies… Jon a tellement enduré, mais il continue d’avancer. C’est tout ce qu’on peut faire. C’est un pacte que chacun a fait en rejoignant le groupe. Steve [Wacholz] a quitté le groupe, nous avons continué. Nous avons perdu Criss, nous avons continué. Nous avons perdu Paul, nous continuons.

Chris : Lorsqu’il travaillait sur TSO, l’idée de Paul était de dire : « Un jour quelqu’un prendra ta suite. » Il voulait que la musique vive. Aujourd’hui, c’est ce que nous faisons : nous faisons vivre la musique de Savatage. Le plus grand plaisir que j’ai, c’est de regarder les plus jeunes parmi le public et de voir comment cette musique vit. Elle est plus forte que jamais.

Justement, comment trouvez-vous la force de toujours continuer malgré les tragédies ? Je pense en particulier au moment où Criss Oliva n’était plus de ce monde, je suis sûr que beaucoup ont pensé que c’était la fin du groupe.

Johnny : C’était très dur pour moi parce que Criss et moi étions, en gros, les meilleurs amis, nous étions comme des frères, et il habitait juste en face de chez moi, dans un appartement. J’étais le gars chez qui ils ont frappé à la porte. Car lorsque l’accident est arrivé… En Amérique, ce qu’ils font est qu’ils cherchent un parent proche, c’est-à-dire ta mère, ton père, et s’ils ne sont pas là, c’est ta sœur, ton épouse, et s’ils ne les trouvent pas, c’est un ami, pour annoncer ton décès. On a donc frappé à ma porte. Il y avait un grand policier qui se tenait là et m’a demandé si je savais comment joindre le père et la mère de Criss. J’ai dit que oui, j’avais leur numéro. J’ai demandé : « Pourquoi ? » Il m’a répondu : « Il a eu un accident la nuit dernière. » J’étais là : « Est-ce qu’il va bien ? » Il ne pouvait légalement pas me le dire, mais il l’avait dit au gérant de son appartement qui l’avait renvoyé vers moi. Le gérant de l’appartement est venu me voir et était là : « Mec, je suis tellement désolé. » J’ai répondu : « Pourquoi ? » Là, il m’a dit que Criss était décédé. Ça a complètement changé ma vie. Il avait un chien et un chat, j’ai eu les clés de son appartement, il a fallu que j’y aille et que je m’occupe de ses animaux. Il n’avait pas prévu de ne pas revenir, donc ses guitares traînaient, ses chapeaux, ses affaires… C’était très dur. Je ne m’en suis toujours pas remis, mais ça a demandé du temps pour intégrer tout ça.

Ils se sont mis à faire Handful Of Rain, je suis allé au studio et la première chose que je vois, ce sont les guitares de Criss. C’était six mois après son décès. J’ai dit : « Où est Criss ? » Puis j’étais là [fait une pause] : « Il faut que je parte. » Je suis rentré chez moi, Paul me rappelle : « Il faut que tu reviennes faire des prises de basse. » J’ai dit : « Demande à Jon de faire mes parties de basse, je ne suis pas prêt. » C’était vraiment très dur de surmonter ça – je ne l’ai toujours pas pleinement surmonté. Nous avons continué parce que nous avions un contrat, j’ai fait un marché avec eux : « Je vais continuer. » Tu encaisses et tu passes à autre chose ; tu ne peux pas rester chez toi à pleurer. Malheureusement, je dois monter sur scène sans lui, mais nous sommes toujours là et nous jouons toujours les chansons. Et Chris ici présent a reproduit tous ses solos de guitare note par note. Par respect pour lui, il joue ses parties exactement comme il les a jouées sur album.

Chris : Tu canalises l’énergie de ton amour pour cette personne. C’est tout ce que tu peux faire. J’entends Johnny en parler… [Les larmes lui montent aux yeux]. C’est tout ce que tu peux faire. Canaliser. Il y a des moments où ce sera dur, mais tu canalises l’énergie. Dans le même sens, il y a beaucoup de choses dans ma vie qui sont difficiles en dehors de ça en ce moment et ça m’aide à les traverser. Ma mère ne va pas très bien ; je prie tous les jours. Et ça, ça donne de la force. Tu tires ton énergie de l’amour des gens avec qui tu travailles et de tous ceux qui t’entourent. Il y a tant de gens qui aiment cette musique, ce qu’il a fait… Il y a tant de jeunes guitaristes à qui je donne des cours en ligne dont Criss est le guitariste préféré, c’est tellement beau à voir. Maintenant, nous jouons et redonnons vie à cet héritage, nous offrons à ce dernier ce qu’il mérite, l’exposons à des gens qui peut-être n’en ont jamais entendu parler. Nous rendons ça possible aujourd’hui.

Interview réalisée en face à face le 21 juin 2025 par Nicolas Gricourt et Aurélie Cordonnier.
Retranscription & traduction : Nicolas Gricourt.
Photos : Bob Carey (1) & Nicolas Gricourt (live @ Hellfest – galerie ici).

Facebook officiel de Savatage : www.facebook.com/savatage



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  • Je suis dingue de ce groupe que j’ai eu la chance de voir en 1998 à l’Elysée-Montmartre !!

    J’écoute surtout très régulièrement les albums Hall of the Mountain King et The Wake of Magellan, sans oublier Ghost in the Ruins !

    Bref, j’adore !!!

  • Très bon interview qui redonne ses lettres de noblesse à ce style musical indémodable.

  • Arch Enemy + Eluveitie + Amorphis @ Paris
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