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Interview   

Sinsaenum : dévasté mais toujours vivant


« Dévasté ». Ce mot, choisi comme titre du troisième album de Sinsaenum, résume l’état d’esprit de Frédéric Leclercq après une série de pertes personnelles : son père, Joey Jordison, leur ami Mumu… Si l’album semble empreint de deuil, il puise en réalité dans des compositions amorcées bien avant ces drames. In Devastation marque une nouvelle étape pour le groupe, avec un style affiné, des touches progressives et mélancoliques, mais toujours cette brutalité viscérale qui définit son identité.

Fred Leclercq, capitaine d’un navire peuplé de leaders, s’est autorisé une liberté totale dans la création. Sans pression, il a intégré chant clair, violoncelle et harmonies inattendues, porté par une volonté simple : se faire plaisir. Commencé en 2019, le disque a traversé les tempêtes personnelles et les aléas de l’industrie musicale. Comme nous le confie le musicien dans cet entretien, In Devastation est une devenu une sorte d’introspection. Il nous livre les contours de ce qu’il nomme comme une « deuxième naissance ».

« Je ne me suis pas mis de pression, pas de barrière, et je pense que c’est de cette manière que le style s’est plus défini et que nous avons trouvé notre identité sur cet album. »

Radio Metal : Comment vas-tu ?

Frédéric Leclercq (guitare) : Ça va, même si je fais de l’urticaire de stress [rires]. Je n’ai pas été en vacances depuis un bout de temps, parce que nous avons enregistré le nouvel album avec Kreator. Nous avons commencé en avril. Nous avons fait un mois de préproduction en Allemagne, ensuite nous avons fait plus d’un mois d’enregistrement en Suède, pour ensuite enchaîner sur les festivals en juin, juillet et août. Entre-temps, il fallait s’occuper de la promo de Sinsaenum. Je viens donc de m’arrêter il y a cinq ou six jours. Mon corps dit : « Voilà de l’urticaire, avec tout ce que tu m’as foutu dans le cornet ! » Sinon, ça va très bien, et ça gratte moins depuis que je suis allé chez le docteur – on se dit tout !

In Devastation est sorti depuis quelque temps maintenant. Quel regard portes-tu sur son accueil critique au moment où on se parle ?

C’est cool, la plupart des critiques sont excellentes, ça fait plaisir. L’album est resté dans sa boîte pendant un bon bout de temps. Nous avons pris notre temps pour l’enregistrer, mais j’ai commencé à écrire les morceaux en 2019. Au bout d’un moment, c’est difficile d’avoir le recul nécessaire – tu ne sais plus si les morceaux sont bons ou pas –, mais les chroniques sont bonnes. Je n’ai pas lu de mauvaises choses – à part un truc ou deux en allemand, mais je vais retrouver le mec et lui casser la gueule [petits rires]. De toute façon, une fois l’album sorti, il ne m’appartient plus. Les gens pensent ce qu’ils veulent. J’essaye de ne pas trop regarder non plus, car sinon, c’est comme ça qu’on choppe de l’urticaire.

Cet album sort sept ans après Repulsion For Humanity. Vous avez tous été très occupés avec vos projets respectifs : Loudblast a sorti deux albums, Seth en a sorti deux aussi, Dååth a fait son retour après quatorze ans d’absence. Concrètement, quand est-ce que ça s’est concrétisé, si on devait mettre tout ça sur une frise temporelle ?

Comme je disais, j’ai commencé à composer en 2019, mais je l’ai fait tranquillement car nous sortions de trois ou quatre années assez intenses avec Sinsaenum. Il a fallu travailler sur le premier album, nous ne sommes pas partis en tournée, donc nous avons fait un EP, puis nous avons fait un deuxième album, puis nous sommes partis en tournée. Je suis revenu, j’étais éreinté. J’ai commencé à bosser sur des morceaux, mais en même temps, en 2019, j’ai bossé sur le dernier album que j’ai fait avec Dragonforce. J’ai bossé sur Amahiru, mon projet japonais. J’ai rejoint Kreator. En fait, j’ai composé une grosse partie des morceaux en 2019, mais c’était des ébauches. En 2020, il y a eu le Covid-19. Ensuite, j’ai perdu mon père et je n’avais aucune inspiration, pas le courage de continuer. Nous bossions aussi, à ce moment-là, sur l’album de Kreator. En 2021, c’est Joey [Jordisson] qui nous a quittés. Après un certain temps de deuil, nous avons discuté avec les autres musiciens et nous nous sommes dit que nous ferions un prochain album et qu’il serait dédié à mon père et à Joey. C’est un peu ce qui a relancé la sauce.

En 2022, l’album de Kreator est sorti. Etant beaucoup pris avec les tournées et tout, et ne voyant pas de moment à l’horizon où je pourrais sortir l’album de Sinsaenum et faire des concerts ou, en tout cas, lui laisser le temps de vivre – je ne voyais pas l’intérêt de le faire sortir trop tôt –, j’ai pris mon temps pour peaufiner tout ça. Nous avons commencé les enregistrements fin 2023, sûrement – c’est difficile à quantifier. Entre-temps, nous avons trouvé notre batteur, André Joyzi, qui était le drum tech de Joey – nous sommes restés dans la famille. Il a fallu le temps qu’il se mette au niveau, parce que c’est un très bon batteur, mais il ne faisait pas de style trop extrême. Je lui ai dit : « Prends ton temps, bosse tout ce qui est blast beats, etc. On veut faire quelque chose de bien, on va le faire bien. » Les enregistrements se sont donc étalés sur 2023 et 2024, au gré de mes sautes d’humeur et de mon emploi du temps. Il est finalement sorti le 10 août dernier et maintenant, nous allons pouvoir faire des concerts.

« Le titre In Devastation résumait totalement ma vie, mon œuvre [rires]. Ça colle bien avec cet état d’esprit qui est le mien et la manière dont je vois les choses. »

En 2018, Stéphane nous disait : « C’est un vrai groupe, pas juste un projet. Et un vrai groupe, c’est censé tourner et sortir des albums. » Vous n’avez pas joué ensemble depuis 2018. Vous allez bientôt repartir en tournée européenne pour ce nouveau disque, en octobre. Pour toi, cette étape est-elle essentielle pour retrouver une sorte de cohésion de groupe ?

Oui et non. Je pense que la mort de Joey nous a rapprochés. Nous sommes une famille, donc nous n’avons rien à nous prouver de ce point de vue-là. C’est peut-être aux yeux des gens qu’il faut prouver que nous sommes un groupe, mais nous sommes au-delà de ça. Pour moi, c’est clair que c’est un groupe, et ça l’a toujours été, de toute façon, mais c’est vrai que pour que les gens prennent conscience que ce n’est pas juste un projet fait en studio, il faut faire du live. Nous l’avons fait en 2018 – s’il faut que ce soit sur papier, en disant « voilà, regardez, on l’a fait ». Je ne cours pas après les concerts, car j’en fais énormément, je suis fatigué, je n’ai pas besoin de ça pour prouver quoi que ce soit, mais à la fois, l’actualité étant qu’un album sort, on fait des concerts, on retrouve et redécouvre son public… Les groupes « normaux », avec des gens qui habitent dans la même ville ou dans le même pays, font déjà album-tournée-album-tournée pour éviter que les gens les oublient, là, en sept ans, c’est encore un peu plus compliqué. C’est pour ça que je disais que les réactions sont bonnes, car quelque part, nous redémarrons. C’est notre deuxième naissance. Nous avons un nouveau batteur, un nouveau logo, le style s’est affiné, nous avons, je pense, une nouvelle identité. Effectivement, pour toutes ces raisons, c’est normal de refaire des concerts. Là, ce sont des petites dates. Nous nous y sommes pris au dernier moment, parce que ce n’est pas évident de trouver des concerts quand tu n’as rien fait pendant sept ans. Tu ne peux pas faire écouter de nouvelles musiques parce que l’album n’est pas encore sorti, donc les promoteurs sont un peu frileux. Maintenant, nous redémarrons et c’est excitant. Je n’ai pas non plus cette peur de « j’ai que ça pour vivre et ça craint ». Je garde donc tout le côté excitation et plaisir.

Il n’y a pas de pression…

Non, il n’y a pas trop de pression. Quand je dis ça, je ne veux pas que les gens pensent que nous faisons ça par-dessus la jambe, que nous nous en foutons. Nous n’allons pas nous bourrer la gueule et y aller sans savoir jouer les morceaux [rires]. C’est sérieux, mais nous avons du plaisir à le faire. Nous nous sommes vus pour faire les clips, mais ça faisait un petit bout de temps que nous ne nous étions pas retrouvés tous ensemble. C’est génial, nous avons passé de très bonnes soirées à nous rappeler des souvenirs des dernières fois où nous nous étions vus – nous avons parlé de Joey, évidemment. Comme je voyage beaucoup, j’ai la chance de voir Sean [Zatorsky] quand je suis en tournée, Attila [Csihar] pareil. Je suis allé voir Joyzi au Portugal et les autres sont français, donc c’est simple. J’arrive toujours à voir tout le monde, mais il y en a certains qui ne s’étaient pas vus pendant longtemps. En tout cas, nous sommes très excités à l’idée de nous retrouver et de partager la scène. Comme Heimoth ne peut pas faire de concerts, car il est occupé avec Seth et d’autres choses personnelles, nous avons Aires [Pereira] de Moonspell sur les dates, ce qui est cool aussi car c’est un très bon pote.

Sur Repulsion For Humanity, il y avait une ouverture au niveau de la composition – je pense notamment à Stéphane qui avait composé « Insects ». Était-ce le cas également pour ce nouveau chapitre ?

Non, là, j’ai refermé ! [Rires] J’avais ouvert le deuxième album parce que nous étions dans un élan, nous passions beaucoup de temps ensemble, et il fallait produire quelque chose, donc je ne pouvais pas tout faire tout seul. C’était l’occasion, c’était bien de collaborer. Cette fois, ça a commencé tout seul et je me suis beaucoup retrouvé tout seul dans ma tête, donc ça s’est fait comme ça au fur et à mesure, j’ai repris les rênes. En plus, ayant intégré Loudblast entre-temps, j’ai préféré que Stéphane [Buriez] se concentre dessus – je l’ai poussé à bosser sur les compos des deux derniers où c’est lui quasi exclusivement, et c’est très bien comme ça. Et en conséquence, pour que les identités soient mieux définies, je pense que c’est bien si c’est moi qui m’occupe de Sinsaenum. Ça s’est fait comme ça, sans discussions houleuses ou quoi que ce soit ; ça a été décidé d’un commun accord que c’était mieux ainsi. Je me suis donc reconcentré là-dessus, je me suis fait plaisir. Il n’y avait pas de pression sur le style.

Avec le premier album, je voulais montrer à tout le monde que moi aussi je m’y connaissais en death metal et en black metal [rires], vu qu’à l’époque j’étais dans Dragonforce – les gens ne voient que ce qu’on leur montre. Pour l’analogie, si je voyais Luca Turilli sortir son album de black metal, je pense que je froncerais les sourcils, je me dirais : « Hmm, je ne suis pas trop sûr, c’est bizarre. » Les gens me connaissaient essentiellement comme bassiste de Dragonforce, donc en disant que je suis fan de Morbid Angel, Pestilence, etc., que j’ai grandi avec ça, que je veux faire mon album avec ces gens qui, eux, ont prouvé qu’ils s’y connaissaient car ils font partie de la scène extrême, je ne voulais pas me rater. Il y avait cette pression. Avec le deuxième album, il y avait la pression de le sortir vite et de faire une tournée, sachant que je voulais aussi intégrer quelques éléments de groove metal, en faisant une sorte d’évolution. Avec le troisième album, en revanche, je n’avais rien à prouver. Je savais avec qui je bossais, je savais de quoi était capable Sean, Stéphane, etc. Je ne me suis pas mis de pression, pas de barrière, et je pense que c’est de cette manière que le style s’est plus défini et que nous avons trouvé notre identité sur cet album, car justement, il n’y a pas de limitation. Je pense que nous y avons gagné en ce sens.

« Après le décès de mon père, j’étais vide, sec, rien du tout, incapable de faire quoi que ce soit, d’avoir une idée. C’est trop violent pour le transformer en musique. Joey Jordison, pareil. »

La particularité avec un projet comme celui-ci est que tu es qu’avec des leaders et compositeurs, et deux chanteurs qui sont, de fait, en première ligne dans leur groupe principal. Ce n’est pas compliqué d’être le capitaine d’un bateau composé d’autres capitaines sur leur propre navire ?

C’est un beau bateau ! Ce n’est pas compliqué et c’est d’autant plus gratifiant qu’ils me font totalement confiance. Je ne me tape pas sur l’épaule en me disant : « Regarde, je suis génial », mais c’est vrai que ça fait plaisir. Personne n’a pas jamais dit : « Attends, tu vas te calmer un petit peu » ou « Attends, on va faire ça comme ça. » Et Joey, c’était la même chose, c’était : « C’est ton bébé, c’est toi qui fais ça. J’adore les morceaux. On y va comme ça. » Le fait que ce soit des capitaines et qu’ils me fassent confiance sur le bateau Sinsaenum, c’est très cool, mais ça ne me met pas la pression pour autant. Comme tout bon capitaine, je sais comment je dois tenir la barre et où mener le navire. Je hisse la voile et le drapeau noir, et je sais où aller. Il n’y a jamais eu aucun problème d’ego. Quand Joey était encore là, il aurait pu dire : « Je viens de Slipknot, fermez vos gueules. » Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Il se trouve que je suis à l’origine du projet, c’est moi qui compose les morceaux, mais chacun a son mot à dire. Je leur demande souvent leur avis, je ne suis pas con, mais la plupart du temps, la réponse c’est : « Ouais, c’est super. » Nous avançons donc dans la même direction, il se trouve juste que c’est moi qui suis à la barre.

Ce disque porte le nom de In Devastation, car c’est ainsi que tu te sentais au moment de la perte d’êtres très chers – Joey Jordison et ton père. « Dévasté », ce n’est pas un mot léger. C’est la première image qui t’est venue en repensant à cette période ?

Oui, et ça a continué. Nous avons perdu notre technicien lumières Mumu [Fred Müller], qui était un ami d’enfance. Il est mort en 2024. La même année – c’est la première fois que j’en parle – je me suis séparé. Je peux t’assurer que depuis quelques années, ce n’est pas la joie, donc In Devastation, c’est un terme tout à fait à propos. Il se trouve que le morceau en lui-même ne parle pas du tout de ça. C’est une critique de la société actuelle. J’aimais bien le morceau, je trouvais qu’il représentait bien Sinsaenum en 2025, et cerise sur le gâteau, le titre résumait totalement ma vie, mon œuvre [rires]. Ça colle bien avec cet état d’esprit qui est le mien et la manière dont je vois les choses.

On parle au passé ou au présent ?

Toujours au présent. Les cicatrices mettent du temps à se refermer. C’est toujours d’actualité – c’est pour ça que j’ai de l’urticaire aussi ! Mais ça va mieux. Il y a une dualité : j’ai toujours eu une tendance à être un petit peu tristoune et déprimé depuis mon enfance, avec des hauts et des bas – comme tout le monde, j’imagine, ou peut-être plus, je ne sais pas –, mais ça s’est renforcé depuis la perte de mon père, Joey, Mumu et d’autres amis, d’autres personnes, et ma rupture. Et ça, c’est au milieu de plein de bonnes choses aussi ! Au niveau de ma carrière avec Kreator, ça marche super bien. Parfois, je me demande si j’ai le droit me plaindre. Les gens disent : « C’est quand même super ce que tu fais ! » Bref, j’ai choisi le titre In Devastation vers fin 2024, début 2025, et c’est toujours d’actualité.

Tu décris les titres comme « Obsolete And Broken » et « Last Goodbye » comme étant les plus personnels. Est-ce que ça implique que l’exercice a été plus difficile pour toi ou alors, est-ce comme certains artistes qui disent que c’est au moment où ils se sentent le plus déprimés qu’ils sont les plus inspirés ?

Le titre personnel, c’est surtout « Last Goodbye ». Déjà, il faut savoir que les paroles ont été écrites par des paroliers extérieurs. J’ai supervisé tout ça, je leur donnais le thème, parce que j’étais incapable de faire quoi que ce soit. Donc, pour répondre à ta question : quand j’avais des petits chagrins d’amour quand j’étais plus jeune ou autre, j’arrivais à transformer ça en musique. Je pense que je n’avais jamais vraiment souffert comme ça. Les petits problèmes se transforment très bien en musique, c’est super. Par contre, avec la perte de mon père, je ne pensais pas de manière romanesque, du genre : « Génial, je vais pouvoir transformer ça. » Absolument pas. J’étais vide, sec, rien du tout, incapable de faire quoi que ce soit, d’avoir une idée. C’est trop violent pour le transformer en musique. Joey, pareil. Ça m’a rendu très triste. Ma rupture, c’était après, j’avais déjà composé les morceaux, heureusement. Mais j’ai encore du mal, ça m’affecte beaucoup. Peut-être qu’il faut vraiment le temps que je digère et là, je serai capable de faire quelque chose. Les morceaux ont, en soi, été composés avant et niveau textes, je n’ai pas voulu parler de tout ça sur l’album, mis à part « Last Goodbye » qui parle de la mort et du suicide, ce n’est pas gai du tout – il m’arrive d’aller dans ces zones-là. Je fais une parenthèse, mais ça fait deux jours que je discute avec des amis musiciens et musiciennes qui ne vont pas bien, qui ont des idées noires aussi, donc je dis aux gens : si vous n’avez pas moyen de vous exprimer par la musique ou de vous changer les idées, n’hésitez pas à contacter des amis, à parler avec eux, parce que parler, ça fait toujours du bien. Je dis vraiment ça par rapport à mon cercle et à ce que j’ai traversé – et que je traverse encore de temps en temps. Il y a des amis pour lesquels je n’étais pas du tout au courant et qui ont eu le courage d’appeler, de laisser un message, à qui j’ai demandé si ça allait bien et qui ont répondu : « En fait, pas tellement. » « Vas-y parle-moi. Discute, ça fait du bien. » C’est donc de ça que parle ce morceau-là.

« Avec ce titre, avec mes explications, je pense que ça donne des clés aux gens. Ils écoutent l’album et se disent qu’on sent la noirceur, mais en fait, les morceaux ne sont pas tous noirs. Je n’ai pas envie que les gens écoutent ça et soient tristes. J’ai plutôt envie qu’ils tapent du pied. »

« Obsolete And Broken » n’est pas du tout personnel. J’adore le morceau musicalement parlant. Les paroles sont un reste d’idée de concept album que nous avions… j’ai envie de dire quand tout le monde était encore vivant. Je me permets maintenant de pouvoir dire ça avec le sourire, parce que dans toutes les interviews que j’ai pu faire pour cet album – car nous avons mis dans le dossier de presse que c’était dédicacé à mon père et à Joey Jordison – j’ai dû en parler et je peux te dire qu’au début, je n’étais pas du tout armé. La première journée de promo que j’ai faite était à Paris et la dernière fois où j’étais allé dans cet hôtel, c’était avec Joey pour Sinsaenum, donc j’arrive, je fais : « Oh, la vache… » Et les premières questions étaient sur mon père, je ne les avais pas prévues, en plus je m’étais couché tard la veille, j’avais parlé de choses pas très gaies avec un ami… Maintenant, je peux en rigoler – et il le faut, il faut que je m’en détache un peu –, mais cette promo d’album a été compliquée. Bref, quand tout le monde allait bien et était vivant, nous avions prévu de peut-être faire un album concept sur une race d’aliens. Nous étions partis sur complètement autre chose et pour « Obsolete And Broken », nous avons gardé les paroles de cette thématique qui est un peu plus science-fiction.

Pour revenir à la question, heureusement que les morceaux avaient été commencés avant. S’il avait fallu recommencer de zéro, je ne sais pas s’il y aurait un album aujourd’hui, je ne suis pas certain. Il se trouve qu’après, je l’ai continué, je l’ai enregistré, et avec mon état d’esprit, avec ce titre, avec mes explications, je pense que ça donne des clés aux gens. Ils écoutent l’album et se disent qu’on sent la noirceur, mais en fait, les morceaux ne sont pas tous noirs. Je les trouve plutôt catchy, entraînants, ça va droit au but. Simplement, c’est la manière dont c’est présenté [qui influence la perception], or ce n’est pas voulu. Je n’ai pas envie que les gens écoutent ça et soient tristes. J’ai plutôt envie qu’ils tapent du pied. De toute façon, la musique est un exutoire. Bon, c’est sûr que quand on écoute « Last Goodbye », on est triste, mais les autres morceaux, non. Reste que ça a mis du temps pour faire l’enregistrement et le terminer parce que j’avais le moral en dents de scie. Il y a des fois où j’écoutais les morceaux et me disais : « En fait, c’est de la merde ! C’est nul ! Ça ne sert à rien de sortir ça. » Puis, deux semaines après, je réécoutais : « Ah non, c’est vachement bien, en fait. Allez, on y retourne ! » C’était très compliqué.

Musicalement, même sans tous ces deuils, la tonalité d’un morceau comme « Last Goodbye » aurait donc été la même ?

Une bonne partie du morceau « Last Goodbye » avait été écrite – au risque de me répéter – quand tout le monde était vivant. Ce n’était pas pour quelqu’un qui était mort. C’était juste que j’avais envie de faire un morceau triste. Après, il a fallu le terminer. Les paroles se sont imposées d’elles-mêmes. Je me suis dit que c’était très bien, que j’avais ça comme véhicule, que j’allais m’en servir. La partie du milieu, le solo, etc., tout a trouvé un sens. J’étais en plein dedans, il suffisait de fermer les yeux, ça a été dur… Même encore maintenant, quand nous avons fait le clip, ça a été compliqué. Tu rajoutes à ça la fatigue, car c’est fatigant de faire des clips… Il ne fallait pas que je me force beaucoup pour avoir les yeux qui mouillent. Le premier concert que nous allons faire est à Colmar, c’est l’anniversaire de la mort de mon père, je n’ai pas envie de jouer le morceau, mais il va falloir le faire. Ça fait que c’est un petit peu compliqué. Ça véhicule des émotions, mais elles me sont propres. Je les explique aux gens, mais il n’est pas dit qu’ils ressentent ça. Avec les albums que j’ai adorés quand j’étais jeune, je ne lisais pas forcément des interviews, David Vincent ne me disait pas forcément qu’il avait écrit « Abomination » parce qu’il avait perdu son chien… J’aime aussi que les gens se fassent leur propre opinion. Par défaut, je fais des interviews et on parle de ça, parce que je ne pouvais pas non plus ne pas en parler, mais du coup, je me retrouve parfois, un peu malgré moi, à donner un peu trop d’informations. J’aimerais que les gens puissent s’évader ; c’est ce que je recherche dans la musique.

Si je reprends tes mots passés, Echoes Of The Tortured est un disque qui raconte une histoire, Repulsion For Humanity est un album de colère, de « claque dans la gueule ». Du coup, In Devastation, c’est quoi ? Comment le définirais-tu ?

Par son titre et ce qu’il implique pour moi, forcément, ça a une définition tout autre, mais c’est très personnel. Ça représente une période pas fun de ma vie. Le choix du titre n’a pas été fait par rapport au morceau mais par rapport à l’état d’esprit dans lequel je me trouve. La pochette – que je trouve géniale – de Travis Smith – qui avait fait celle de Repulsion For Humanity et d’Amahiru, et a travaillé avec Opeth, Death, Nevermore, etc. – colle à ça. Je lui ai un peu expliqué ce que je voulais. On voit cette espèce d’empereur qui regarde dans un soleil, c’est solennel, c’est triste, c’est l’introspection, etc. Donc, côté visuel et titre, cet album, c’est la souffrance. L’album est dédicacé à Joey Jordison, à mon père et à Mumu, donc il y a forcément cette tristesse et cette douleur qui planent, mais ce n’est pas le propos musical qui est une sélection de morceaux qui nous représentent en 2025. Nous avons trouvé notre style. J’ai l’impression que c’est plus nous que les albums précédents. C’est plus sous cet angle qu’il faut le voir.

« J’aime tellement de choses qu’il y a toujours une sorte de limitation. Il faudrait que je fasse quelque chose à la Mr. Bungle où je pourrais partir dans tous les sens. »

C’est bien qu’il y ait une histoire à raconter, mais je ne veux pas non plus que ça prenne le pas. Toutes proportions gardées, je prends parfois l’exemple de Back In Black : il est noir, Bon Scott est mort, ça s’appelle comme ça, on sait de quoi ça parle, mais l’album n’est pas triste. Ils voulaient juste faire un super album de hard rock et ils l’ont fait. Là, je voulais faire un super album de metal death/black avec des touches de prog, il y a du heavy de temps en temps. Je voulais faire de la très bonne musique, et comme le but était aussi de le dédicacer à des gens qui nous étaient chers, je n’allais pas sortir un album trop pourave [rires]. Le premier était une lettre d’amour au style, le second était un coup de poing dans la gueule parce que je n’étais pas content car tout le monde me cassait les couilles – excusez mon français –, et le troisième, le but était vraiment d’écrire de très bons morceaux et de faire un super album, teinté, malgré tout, de deuil, de mélancolie, de tristesse et d’un état d’esprit un peu dévasté.

C’est un album assez surprenant avec des éléments progressifs, du chant clair et du violon. Était-ce intentionnel pour maintenir un sens de la surprise ?

L’intention, très égoïstement, était de me faire plaisir, car nous avions fait cette tournée, qui s’est bien passée par endroits, moins à d’autres. Ça s’est bien passé en France. En Allemagne c’était naze. En Russie c’était cool. En Australie moyen. Il y avait des endroits où les promoteurs pensaient qu’il suffisait de dire que c’était Joey Jordison, qu’il n’y avait pas besoin de faire de promo et que ça irait bien. Ça n’a pas été le cas. Nous sommes donc revenus, nous étions sur les rotules et j’étais aussi un petit peu déçu. J’avais encore un album à faire avec le label, avec qui je m’entends très bien, mais à ce moment-là, j’étais tellement crevé d’avoir bossé là-dessus pendant quatre ou cinq ans et de faire une tournée qui se passe bien par endroits, moins bien à d’autres… J’ai dit : « Je ne me prends pas la tête, je vais faire un album pour moi. Je vais faire exactement ce que je veux, ce que j’ai envie. Je sais que Sean est capable de chanter clair. Allez, on va mettre du chant clair, parce que fuck, on fait ce qu’on veut. »

Pour le violoncelle, ça s’est fait après. Il fallait une intensité dramatique sur « Last Goodbye ». Je voulais vraiment m’imprégner de ce que je ressentais. J’ai donc demandé à l’amie Kamila [Borowiak] de faire la partie de violoncelle qui a sublimé ce passage. Mais par exemple, sur « Obsolete And Broken » il y a un passage très calme au milieu, c’est moi qui fais les harmonies vocales avec Sean en son clair. J’entendais une cithare dans ma tête, je me suis dit : « Tiens, une cithare ? Allez, je m’en fous ! » Sur « Buried Alive », il y a un solo qui fait un peu Pantera, un peu metal mélodique américain, chose que je n’aurais pas touchée avant. Je fais un peu de bends à la guitare et de trucs de feelings plutôt que déstructurés comme je fais d’habitude dans le registre death metal. Je répète ce que je disais tout à l’heure : il n’y avait pas de limites, sans pour autant complètement pété les plombs et mettre du funk. Je n’en suis pas encore là. Avec les musiciens en question, je sais que ce sera en grande partie du death, mais je n’hésitais pas à rajouter des choses pour me faire plaisir. Et si ça surprend les gens, tant mieux. Je trouve que c’est bien aussi. J’ai envie qu’ils prennent autant de plaisir à l’écouter que nous, car nous sommes contents quand nous l’écoutons – sauf pendant un moment où j’en avais marre, mais maintenant qu’il est sorti, c’est bon, ça fait un petit bout de temps que je ne l’ai pas écouté en me disant que c’est de la merde [rires].

Dirais-tu que Sinsaenum est le projet où tu te sens le plus libre parmi tous ceux que tu as et que tu as eus ?

Il y a celui-ci. Il y a aussi Amahiru, parce que je voulais faire quelque chose de mélodique avec Saki et j’avais carte blanche pour la production, pour trouver les musiciens. C’est le label japonais qui m’a dit : « Toi tu t’occupes d’écrire les morceaux, nous on s’occupe de la promo. » L’album est sorti pendant le Covid-19, donc c’est un peu dommage, ça a été un coup d’épée dans l’eau. C’est vraiment con, car je trouve que cet album est génial mais il est complètement passé inaperçu. Pour ceux qui lisent : ce n’est pas du metal extrême, c’est mélodique, mais je trouve cet album vraiment bien. Je m’envoie des fleurs, j’ai le droit [rires]. Sinon, oui, c’est vrai que dans Sinsaenum, je me permets un petit peu tout ce que je veux. Pourtant, ça reste dans un style bien défini. Il n’est pas dit que je ne fasse pas un autre projet un jour parce que j’aime la musique dans toute sa diversité. Dans Sinsaenum, je ne peux pas mettre du Yellow Magic Orchestra, par exemple. C’est un groupe électronique japonais de la fin des années 70, ils étaient influencés par Kraftwerk et c’est eux qui ont un petit peu influencé la musique des jeux vidéo et tout, avec notamment Ryuichi Sakamoto au piano, qui a fait la musique du Dernier Empereur, Furyo, etc. C’est génial, j’adore ; je peux mettre quelques petites touches vite fait bien fait dans Sinsaenum, mais ce n’est pas gagné. J’aime tellement de choses qu’il y a toujours une sorte de limitation. Il faudrait que je fasse quelque chose à la Mr. Bungle où je pourrais partir dans tous les sens, mais là ce n’est pas possible. Les gens ne sont pas prêts ; je ne peux pas faire Sinsaenum avec un morceau funk, ce n’est pas Faith No More – c’est dommage ! Mais étant le capitaine, je peux me permettre de rajouter tout ce que je veux, tout en délimitant un petit peu.

« Si on voit la trogne d’Attila sur les photos et qu’il n’est pas là en live, les gens ne vont rien comprendre. De toute façon, les gens ne comprennent rien, même comme ça [rires]. Même nous, nous sommes un peu perdus. »

Dans Dragonforce, il fallait jouer avec les limites du genre, mais sur l’album Reaching For Infinity, j’ai quand même poussé un petit peu : j’ai mis du prog, j’ai mis du thrash, etc. Je me suis permis quelques incartades. Kreator, c’est différent, car ça fait quarante ans que ça existe, c’est Mille [Petrozza] qui en est le capitaine et c’est très bien comme ça ; le bateau avance bien, je n’ai aucun intérêt à essayer de prendre la barre. Je me permets de temps en temps de ramener ma fraise sur deux ou trois trucs, de changer et faire des parties musicales, mais le chemin est tout tracé. A bateau différent, situation différente.

C’est amusant de remarquer que dans les singles dévoilés, on a la première chanson « In Devastation » qui est assez rentre-dedans et accrocheuse, « Last Goodbye » qui est émotionnellement assumée avec une texture plus progressive, et « Obsolete And Broken » qui combine un peu ces deux caractéristiques. Dirais-tu que ce disque a deux visages finalement ?

Je ne sais pas. Il en a peut-être plusieurs ou un seul. C’est le genre de chose sur lequel c’est très difficile pour moi d’avoir du recul. Pour moi, tout a été fait dans le même sens. C’est possible qu’il ait à la fois un côté émotionnel et un autre plus rentre-dedans, mais ce sont les deux profils d’un seul et même visage. Je pense qu’on peut avoir de l’émotion tout en étant rentre-dedans. Dans « Last Goodbye », il y a un côté rentre-dedans sur les refrains, et je pense qu’il y a une émotion dans « In Devastation » – la colère est aussi une émotion.

On commence avec de la colère pure, puis on glisse progressivement vers quelque chose de plus mélancolique avec « Shades Of Black », avant d’aller vers les titres que nous avons évoqués plus tôt, et de revenir sur du brutal pour la fin. Cette structure d’album a-t-elle été réfléchie ?

Nous avons eu énormément de mal à trouver un ordre. Je suis arrivé avec l’ordre final, mais j’ai demandé à tout le monde parce que, franchement, je ne savais pas. Il y a d’autres morceaux qui ne sont pas sortis – nous les sortirons peut-être en bonus –, mais il y avait une intro et un premier morceau. Tout était déjà tracé depuis le début : intro instrumentale, un truc un peu à la Bolt Thrower, j’imaginais que nous commencions avec ça sur scène, puis on attaque avec le premier morceau. Finalement, vers les derniers moments, je me suis demandé si ce n’était pas un peu cliché de commencer là-dessus. C’était un peu long. Les gens, maintenant… Je me contredis, car je disais tout à l’heure que je faisais ça que pour moi, mais quelque part, tu veux que ça marche, donc tu te demandes si les gens vont apprécier. Je n’aurais peut-être pas dû ! J’aurais dû faire exactement ce que j’avais en tête. Bref, j’ai eu ce doute et « In Devastation » s’est offert comme premier single, car, comme je disais, ça définit bien le nouveau style, et pour commencer l’album. Il y a une petite intro, donc c’était parfait pour ça : tu n’attends pas trop longtemps avant de recevoir le coup de poing dans la gueule.

Après, il fallait contrebalancer. Le plus évident aurait été de garder la ballade pour la fin, parce que c’est généralement comme ça. Je crois que c’est Stéphane qui a dit : « On ne la fout pas à la fin, on la fout au milieu. Il faut qu’elle arrive vite. » C’est lui qui a d’ailleurs voulu qu’elle sorte en single. A la base, nous étions censés sortir « Shades Of Black », car il est super efficace et fonctionnera très bien live, et quatre ou cinq jours avant, il m’écrit un soir et me dit : « Non, en fait, j’ai réfléchi, il faut faire ‘Last Goodbye’. » J’ai dit : « Putain, attends, on fait les clips dans trois jours, t’es chié ! » « Non, c’est ‘Last Goodbye’, ce morceau-là déchire, il faut que ce soit lui. » Et il avait totalement raison, même si « Shades Of Black » est bien. Donc merci Stéphane. Du coup, le garder en pièce centrale, ce n’est pas non plus déconnant. Il faut ensuite essayer d’harmoniser le tout. On commence par « In Devastation », je me disais que le deuxième morceau devait avoiner encore plus. Il y a deux morceaux avec des blast beats sur l’album, il y a « Cede To Thunder » et « Over The Red Wall ». « Cede To Thunder » en deuxième est bien parce que ça rappelle un peu ce que nous étions avant, du death metal pur et dur, avec de grosses touches de Morbid Angel, que nous adorons avec Stéphane et que nous adorions avec Joey. Il ne peut pas ne pas y avoir de Morbid Angel sur un album de Sinsaenum. Une fois que tu as ça, tu te dis qu’il faut redescendre un petit peu. Ça se compose comme un repas : tu fais en sorte que ça s’enchaîne correctement, de ne pas mettre deux plats qui se ressemblent d’affilée, etc. Tout ça pour finir avec le morceau le plus violent de l’album. C’était un contrepied intéressant aussi. Mais ça a mis du temps, car dans l’ordre initial, « Buried Alive » était en second, mais je trouvais que c’était un peu trop dans le même style que le premier. C’est super chiant. Il n’y a rien de pire que de faire l’ordre d’un album ! Il est ce qu’il est aujourd’hui. S’il vous plaît, tant mieux, s’il ne vous plaît pas, tant pis, je ne changerai plus ! [Rires]

« Nous imaginions que c’est ce que Joey aurait voulu. Il n’est pas revenu de là où il est – où qu’il soit – pour nous dire : ‘Eh les gars, faut continuer !’ Mais si c’était à moi que ça arrivait, je voudrais que les gens continuent. »

Tu disais qu’à l’origine vous aviez prévu de faire un clip pour « Shades Of Black », et finalement, vous avez opté pour « Last Goodbye ». On y retrouve un personnage central, incarné par l’actrice Andrea Deronzier. Que représente-t-elle ? Qu’est-ce que vous avez souhaité illustrer ?

Le problème du clip initial pour « Shades Of Black » était aussi que j’y allais un petit peu à reculons, car ça parle du viol. Les paroles sont à la première personne. C’est quelqu’un qui se met dans la peau d’une personne qui s’est fait violer, j’imagine une femme – même si c’est Sean qui chante. Je me suis dit que c’était un sujet très compliqué. Si on fait ce clip et qu’on se rate, c’est naze. Heureusement, c’est quelque chose que nous n’avons pas vécu, mais ça fait que c’est très difficile à aborder. Je ne voudrais pas être maladroit et blesser des gens qui ont vécu ça. C’est un sujet que nous ne maitrisons pas. Ça risquait donc d’être casse-gueule, mais nous avions des idées et des pistes. Je m’étais dit que nous pourrions mettre un message à la fin – un peu comme celui que j’ai fait tout à l’heure sur le suicide. Je me disais que c’était le meilleur moyen. J’ai beau déconner tout le temps, je ne veux pas non plus froisser les gens et puis, c’est un sujet sérieux, ce n’est pas rigolo. Au lieu de ça, nous avons donc choisi le suicide, qui est beaucoup plus rigolo [rires].

La aussi, nous avons pris le contrepied, car nous aurions très bien pu jouer dans les clichés du « ça va pas… » C’est ce que j’avais pensé au début, j’avais plein d’images, je voyais quelqu’un qu’on enterre, etc., mais c’était trop cliché. Nous avons passé une soirée avec Stéphane jusqu’à tôt le matin à imaginer des choses et nous nous sommes dit qu’il faudrait que ce soit le contrepied : nous sommes en noir et Andrea devra être blanche, parce qu’elle symbolise la pureté. Il y a beaucoup d’images, pas beaucoup de réponses. Il lui arrive des choses, on ne sait pas si c’est la réalité ou si c’est elle qui perd l’esprit. C’est un petit peu ça aussi : quand tu ne vas pas bien dans ta vie, tu te perds, tu perds tes repères. Elle ne sait pas si ce qui lui arrive lui arrive vraiment, ou si c’est son esprit qui provoque ça. A la fin, elle part dans l’eau, elle plonge et elle disparaît. C’est poétique, ça laisse un peu réfléchir. C’est quelqu’un qui perd la raison, et c’est l’un des aspects du morceau. Quand tu ne vas pas bien, c’est parce que soit tu comprends trop la réalité et qu’elle est insoutenable, soit tu perds la raison – ou un mélange des deux.

Tu as évoqué le chant clair : comment Sean a abordé cet exercice pour Sinsaenum ? Lui as-tu donné des directives ?

Il a une super voix. Nous avions commencé à toucher des voix claires sur l’album précédent, mais c’était surtout parlé, et un petit peu chanté sur « I Stand Alone ». J’ai eu envie de continuer là-dedans. Je me suis dit que ce serait bien de profiter du fait qu’il est très capable dans ce registre. Ayant cette ballade, je me suis dit que ça ne servait à rien d’avoir une voix parlée pendant vingt ans, ce serait chiant, et une voix qui growle sur des arpèges, ça n’allait pas le faire non plus. Le morceau me semblait important déjà à l’époque. Nous nous sommes dit que nous allions essayer quelque chose, ce que c’est devenu. Il a un timbre de voix qui convient parfaitement à l’exercice. Nous avons bossé différentes mélodies. Comme les paroles ont changé, nous avons dû retravailler tout ça. Mais ça s’est très bien passé. Il est très content du résultat – nous sommes contents du résultat. Concernant le chant clair sur « Obsolete And Broken », je voyais cette partie ésotérique. C’est moi qui ai fait les chœurs en démo, avec une voix très douce. Je voulais contrecarrer la violence et l’intensité du reste du morceau. Sean a ensuite posé sa voix dessus. On entend donc nos deux voix – il y a ma voix angélique derrière, la petite cithare, ça se calme, pour repartir ensuite de plus belle. Pareil, ça s’est bien passé. Je pense que c’est bien aussi pour nous de nous aventurer vers des choses auxquelles on ne s’attendrait pas dans un groupe de death, parce que c’est ce que nous restons quand même. Nous ne faisons pas du metalcore – s’il faut donner des étiquettes.

Sur le deuxième opus Attila était en retrait. Aujourd’hui, il ne figure pas sur les photos promotionnelles ou les clips vidéo, mais il est quand même crédité. Quel a été son rôle sur cet album ?

Comme tu l’as dit, sur le deuxième album, il s’est mis en retrait. Il fait toujours partie de la famille – c’est comme ça que j’appelle Sinsaenum, car c’est vraiment le cas. A l’époque où nous avons fait le deuxième album, il était très occupé avec Mayhem, Void Ov Voices et Sunn O))), donc il s’est un peu désolidarisé de l’enregistrement de l’album – il l’avait fait sur trois morceaux, il n’avait pas beaucoup le temps. Nous bossions déjà sur la tournée et nous savions qu’il ne pourrait pas la faire. Nous nous sommes alors dit que nous allions faire les photos promo sans lui, parce que c’est plus simple dans la tête des gens. C’est mieux de l’avoir en guest, qu’on entende sa voix mais qu’on ne le voie pas, plutôt que l’inverse. Si on voit sa trogne et qu’il n’est que sur trois morceaux et pas en live, les gens ne vont rien comprendre. De toute façon, les gens ne comprennent rien, même comme ça [rires]. Même nous, nous sommes un peu perdus. Il est donc apparu deux fois, quand nous avons joué à Budapest et en Norvège. Il se trouve que, au passage, si j’ai fait ça, c’est aussi parce que, adorant le Japon et travaillant beaucoup avec eux, je sais de source sûre que quand tu vas faire des concerts là-bas, il faut que ce soit les mêmes personnes que celles qui sont sur les photos. C’est-à-dire que si dans le livret il y a six personnes, ne vous pointez pas à cinq parce qu’ils vont faire la gueule ! Vraiment, c’est super important eux, pas seulement les fans, mais aussi les promoteurs et tout, il faut que ce soit carré. J’ai appris ça à l’époque de Dragonforce.

« Même moi, qui ne suis pas batteur, j’ai bien compris qu’il s’était passé quelque chose, qu’il y avait un avant et un après Joey Jordison. C’était quelqu’un de génial qui nous manque. »

A la base, nous étions censés continuer comme ça à cinq, avec Attila qui reviendrait faire des chœurs s’il voulait, parce qu’il fait partie de la famille. S’est passé ce qu’il s’est passé, et si Attila fait partie du groupe, c’est aussi en grande partie grâce à Joey. Je venais de rencontrer Attila à l’époque, mais eux se connaissaient depuis plus longtemps et c’est Joey qui avait dit : « Tiens, ce serait bien d’avoir Attila, on aurait deux chanteurs. » J’étais là : « Ah ouais, génial, j’adore ce mec, allons-y ! » Sean a toujours été le chanteur principal et Attila rajoutait les voix, les ambiances, les profondeurs, les trucs chelous qu’il y a derrière quand on tend bien l’oreille, ainsi que certaines parties qui lui sont dédiées. Quand nous avons fait cet album et que nous avons dit qu’il serait dédié en partie à Joey, il était évident pour nous de lui proposer de participer et pour lui, c’était évident de le faire. Il est donc sur tous les morceaux, que ce soit certaines parties bien définies, comme sur le refrain de « This Wretched World » et celui de « In Devastation », ou les chœurs, les doubles voix, etc., comme sur « Obsolete And Broken », par exemple.

Dans l’album il y a donc sa photo, parce qu’il est dessus, mais comme je sais très bien qu’il ne sera pas là quand nous ferons les concerts, il n’est pas sur les photos promo. C’est ce que nous nous sommes dit avec lui, parce que ça avait totalement du sens. Je me souviens d’en avoir parlé avec les autres et le label : « Est-ce que les gens vont comprendre ou est-ce qu’ils vont encore nous poser des questions ? » En fait, nous nous sommes dit : « On s’en fout, on expliquera au fur et à mesure. » Il est donc sur album, mais il ne sera pas là en live. S’il est dans le coin, c’est génial, il vient forcément, mais comme il est très occupé avec beaucoup de projets, nous ne pouvons pas l’avoir sur deux dates, puis il part pour les trois suivantes, etc. Il faut que nous avancions comme ça, mais il fait partie de Sinsaenum, même s’il n’est pas sur les photos promo. J’espère que vous n’avez rien compris, comme ça c’est bien fait !

Impossible de ne pas parler de Joey Jordison. Tu l’as pas mal répété au cours de cet interview, cet album lui rend hommage. Stéphane nous confiait l’année dernière que si Sinsaenum continuait, c’est aussi parce que c’était la volonté de Joey. Est-ce que la suite de Sinsaenum a tout de même été une question au moment de sa disparition ?

Quand nous avons appris son décès, je n’ai pas du tout pensé à la musique. J’ai perdu un ami, je ne me suis pas dit : « Merde, comment on va faire ? » Le deuil, ça remet les choses à leur place, les priorités dans la vie changent. Je m’en suis rendu compte avec mon père, puis Joey moins d’un an après. Je n’ai donc pas du tout pensé à ça, et puis, quand nous nous sommes appelés avec les autres, il n’y a même pas eu de « qu’est-ce qu’on fait ? » Je ne sais plus comment se sont passées les conversations, mais il n’y a pas eu de point d’interrogation. C’était : « Evidemment, on continue. » Nous imaginions que c’est ce qu’il aurait voulu. Il n’est pas revenu de là où il est – où qu’il soit – pour nous dire : « Eh les gars, faut continuer ! » Mais si c’était à moi que ça arrivait, je voudrais que les gens continuent. C’est lui qui a trouvé le nom Sinsaenum. Il était avec nous depuis le début. C’est notre frère. C’est normal que nous continuions et que nous le fassions en hommage, pour lui, car il continue à exister à travers ce groupe. Ça s’est fait comme une évidence. Il n’y a pas un moment où nous nous sommes dit que nous allions raccrocher. Au-delà de la douleur que ça a pu nous causer, dès que nous en avons discuté ensemble – nous nous appelions pour être tristes et échanger des souvenirs –, c’était : « Allez, on y va, l’album est pour lui. »

Comment décrirais-tu l’homme et l’artiste qu’il était ?

C’est marrant, je parlais de lui avec Jim Root pas plus tard qu’hier. Il était très drôle, très gentil, très humble, la plupart du temps [rires]. En tout cas, il ne s’est jamais pris la tête et n’a jamais fait le malin. Il ne racontait pas trop ses anecdotes. Il y a une fois, il a parlé de l’histoire où il avait remplacé Lars Ulrich dans Metallica, mais il l’a placé comme ça et pas genre : « Attendez, les mecs, je vais vous raconter ça. Mettez-vous autour de moi, je vais vous dire. » C’était un passionné de musique ; la musique, c’était son truc. Comme disait Jim, quand ils se sont connus, c’était ça : il n’y avait que de la musique, sept jours sur sept, il ne pensait qu’à ça. Il connaissait tous les morceaux, les riffs, etc. Nous parlions donc énormément de musique. C’était quelqu’un de talentueux et même moi, qui ne suis pas batteur, j’ai bien compris qu’il s’était passé quelque chose, qu’il y avait un avant et un après Joey Jordison. C’était quelqu’un de génial qui nous manque.

« Je reste surtout sur Morbid Angel, Cannibal Corpse, Obituary, etc. Je suis complètement à la masse, parce que c’est sorti dans les années 90 et ça fait trente ans, mais dans ma tête, je suis resté bloqué là-dedans. »

A la batterie, il est donc remplacé par Andre Joyzi qui, comme tu l’as mentionné, était initialement un technicien de Joey. Le communiqué de presse précise que c’était un membre de confiance du groupe en tournée. L’idée était aussi de maintenir un lien avec le batteur. Comment endosse-t-il ce rôle-là ? Au-delà de l’honneur et de la fierté que ça représente, j’imagine quand même que ça doit être assez lourd à porter ?

J’ai évoqué plusieurs fois le terme « famille », mais c’est vraiment ça, et là, plus que jamais, quand il t’arrive quelque chose comme ça, tu veux rester dans la famille, justement. Nous avons évoqué pendant un moment l’idée de prendre d’autres batteurs, mais finalement, je me suis dit : « Pourquoi pas Joyzi ? » Il était là, il connaissait Joey, il avait fait la tournée avec nous, c’est mon pote. Je le connaissais d’avant. Il est portugais mais il a vécu à Londres pendant de nombreuses années. Il travaillait dans un bar, The Intrepid Fox. C’était un pote un Dragonforce, il avait bossé avec nous aussi, et je savais que c’était un très bon batteur. Pour lui, ce doit être une pression énorme. J’ai toujours fait comme si de rien était. Je n’allais pas lui en rajouter, mais forcément, les gens vont comparer son jeu avec ce que faisait Joey, qui n’était pas n’importe qui. C’est comme si Steve Harris venait à décéder et, pour une raison que j’ignore complètement, ils me demandaient de le remplacer à la basse – avec mon médiator, en plus –, je pense que ne serais vraiment pas bien [rires]. Cela dit, comme Sinsaenum est beaucoup moins connu, ça permet de se détendre un petit peu, mais le fait est que Joey c’était autre chose. Il y a Joey dans Sinsaenum et il y a Joey tout court.

C’est donc une grosse pression, mais je le rassure toujours, dans la mesure où ce qu’il fait, il le fait excellemment bien. Pour moi, ça a toujours été un non-problème. Il me l’a fait remarquer une paire de fois et je fais toujours : « Mais non. » Mais c’est vrai, je le pense sincèrement. Je ne suis pas du genre : « Mon gros, ça craint pour toi. » Je me dis vraiment que ça va aller, car j’ai totalement confiance, je sais de quoi il est capable. Après, c’est à lui qu’il faudrait poser la question, mais je pense qu’il se chie dessus [rires]. Non, je plaisante. Ça l’a stressé un petit peu, mais comme les retours sont bons et que les gens aiment bien l’album, ça va. Je n’ai lu nulle part : « Il est trop nul, votre nouveau batteur, LOL. »

Pour revenir à la musique, nous avions déjà souligné lors du deuxième album que quelques éléments paraissaient empruntés au death moderne, et avec Stéphane, vous nous aviez répondu en glorifiant le death de la vieille école. Au vu de l’évolution de ce nouveau disque, considères-tu que cette esthétique ne serait pas figée dans le temps comme certains puristes le voudraient ? Est-ce que, malgré vous, même le death old school tend à évoluer ?

Je n’écoute pas de musiques récentes dans le death. Enfin, si, j’entends des choses, qui sont vachement bien d’ailleurs. Neckbreaker, c’est cool. Crypta, c’est sympa comme tout. Qu’est-ce que Stéphane m’a envoyé ce matin ? Abhorrent, je crois. Ça fait genre premier Morbid Angel. C’est bien, il y a des trucs old school comme ça qui sortent. C’est ce qui me parle le plus. J’aime bien le premier album de Blood Incantation. Je reste figé sur ce que j’aime, qui m’a marqué quand j’étais jeune, et que je continue d’écouter. Après, forcément, je le fais évoluer avec tout ce que nous avons évoqué, les éléments que je rajoute, etc. Mais je t’avouerai que je ne suis pas trop au courant de tout ce qui se passe sur la scène death metal, parce que, mis à part les groupes que j’ai cités – et encore –, je reste surtout sur les vieux groupes. Je regarde à chaque fois quand Morbid Angel fait des concerts, où Cannibal Coprse tourne, etc. J’ai vu Obituary il n’y a pas longtemps. C’est un style que je trouve encore frais. Je suis complètement à la masse, parce que c’est sorti dans les années 90 et ça fait trente ans, mais dans ma tête, je suis resté bloqué là-dedans. C’est encore frais, tout le monde est jeune, tout le monde est gentil.

Je ne sais pas si ça rebute les auditeurs les plus jeunes, s’ils se disent que c’est vraiment un truc de ringard. Je ne sais pas quel regard ils peuvent avoir là-dessus. J’ai commencé à écouter du metal en 1990, ça veut donc dire que pour quelqu’un qui écoute du metal maintenant, le death metal c’est l’équivalent pour moi de ce qu’il y avait dans les années 60, genre Chuck Berry. C’était super ringard ! Déjà, je trouvais que Led Zeppelin, c’était une musique de momies. Pour quelqu’un qui découvre le metal aujourd’hui, son équivalent de Led Zeppelin – quinze ans en arrière –, c’est… je ne sais pas, Amon Amarth peut-être. Si ça se trouve, il dit qu’Amon Amarth, c’est un truc de momies, ou pas, je n’en sais rien, parce que, quand j’ai découvert tout ça, le style était en plein expansion. Je pense qu’on pouvait encore créer des choses, il n’y avait pas trop de limites. Maintenant, c’est plutôt très défini, et les gens aiment bien que ça rentre dans des cases – moi peut-être le premier. Je ne sais donc pas si le death old school évolue ; je ne sais pas si j’ai envie qu’il évolue. A la fois, c’est là-dessus que je me suis basé pour créer Sinsaenum et il évolue. Est-ce que nous faisons du death old school ou du death tout court ? La question est posée. Je ne sais pas répondre à ta question, elle est bien trop compliquée !

Interview réalisée par téléphone le 4 septembre 2025 par Jean-Florian Garel.
Retranscription : Nicolas Gricourt.
Photos : Céline Kopp.

Facebook officiel de Sinsaenum : www.facebook.com/Sinsaenum.

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  • Très belle interview merci
    On sens qu’il a été vraiment marqué par la disparition de ses proches, il faut laisser le temps de faire son deuil . On ne se remet jamais de la disparition de quelqu’un on apprend à vivre avec .

  • Arch Enemy + Eluveitie + Amorphis @ Paris
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